Société

Les femmes autochtones du Canada : une histoire de génocide

Marie-Jeanne Lépine, Mont Notre-Dame 20 janvier 2021

3 juin 2019. Ottawa. L’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) présente un rapport qui décrit l’horreur. 2380 témoignages à travers le pays. 1192 pages. 2 volumes. 2 années d’observations accrues. On y parle d’un génocide canadien. 122 fois, ce mot qui fait peur est cité. 

Génocide colonial…

Dans l’étude, c’est surtout de génocide colonial qu’on parle. « L’histoire coloniale du Canada fournit de nombreuses preuves de l’existence d’une politique de génocide – une série manifeste de comportements analogues – qui reflète une intention de détruire les peuples autochtones », écrivent les commissaires qui l’ont rédigé . On parle ici de la Loi sur les Ind***s, politique discriminatoire qui laissait le choix entre l’émancipation ou la préservation de leur culture, en vertu du statut de mineur pour le reste de leur vie. On parle aussi de la distribution de couvertures contaminées par la variole par le commandant Amherst, nom que portait une grande rue à Montréal et que porte toujours une rue à Sherbrooke. De la même façon qu’on parle des residential schools, ces pensionnats où allaient vivre des enfants arrachés à leur famille afin de les assimiler. Établissements où 90% à 100% des enfants vivaient des violences psychologiques, physiques et/ou sexuelles. Le taux de survie y était de 40% à 60%. La dernière a fermé en 1996 seulement. On peut parler aussi de la stérilisation forcée imposée à plusieurs femmes. On ne manque pas de sujets.

C’est une crise majeure des droits de la personne

Depuis le déclin du commerce des fourrures, les Canadiens ont tenté d’arracher les autochtones à leur culture et

Michèle Audette, commissaire Source : L’Actualité

identité en leur arrachant toute dignité et respect. Il n’y a que  depuis peu d’années que des décisions qui les concernent se sont faites et ce n’est toujours pas assez. Des excuses officielles devraient être prononcées. C’est une crise majeure des droits de la personne.

…ou génocide tout court?

Bien que le terme « génocide colonial » soit le plus utilisé, la commissaire Audette qui a travaillé sur le projet proclame qu’il s’agirait cependant d’un génocide tout court selon la description qu’en fait l’ONU soit :

  1. Le meurtre des membres du groupe;
  2. La cause des lésions corporelles ou mentales graves aux membres du groupe;
  3. L’infliction délibérée au groupe des conditions de vie destinées à entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
  4. L’impôt de mesures destinées à empêcher les naissances au sein du groupe;
  5. Le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. 

Les femmes autochtones sont les plus à risque

Des témoignages ont affirmé que plusieurs appels de dénonciation, des appels venant de groupes et d’organisations qui tentaient de résoudre les problèmes beaucoup trop grands pour leurs moyens, avaient été faits au gouvernement. Ce n’est qu’en 2015, lors du début de la présidence du gouvernement libéral Trudeau et du lancement de l’ENFFADA que ces cris du cœur ont cessé d’être ignorés. 

Selon Statistiques Canada, les femmes et les filles autochtones de 15 ans et plus sont 3,5 fois plus à risque que les autres Canadiennes d’être victimes de violence.

La GRC estime que plus de 1200 de femmes autochtones ont disparu ou ont été victimes d’assassinat entre 1979 et 2019. Des organisations autochtones affirment plutôt qu’il s’agirait de plus de 4000 victimes selon des estimations documentées. Les chiffres ne peuvent cependant être certains puisqu’aucune base de données officielle n’existe et que ce ne sont pas toutes les victimes qui rapportent leurs histoires.

Selon Statistiques Canada, les femmes et les filles autochtones de 15 ans et plus sont 3,5 fois plus à risque que les autres Canadiennes d’être victimes de violence. Les cas de violences sont non seulement plus récurrents, mais également plus graves, avec un taux d’homicide sept fois plus élevé pour les femmes autochtones que non autochtones.

Les campagnes d’Amnistie internationale

Source : Amnistie internationale

Amnistie internationale, organisme non gouvernemental qui met de l’avant de respect de la Déclaration des droits de l’homme a lancé deux campagnes pour venir en aide à ces femmes en 2004 et 2009, exposant plusieurs cas réels afin de montrer la violence cachée qui règne dans le pays. L’organisme souligne que la marginalisation des femmes, le racisme systémique, la pauvreté, le déficit de protection policière, les importantes disparités entre les femmes autochtones et non autochtones (droits économiques, sociaux et cultures), la déstabilisation résultante du retrait des enfants à leur famille et communauté dans le passé et de nos jours, le nombre disproportionné de femmes autochtones dans les prisons canadiennes, dont plusieurs ont elles-mêmes vécu des violences et les réactions insuffisantes et inadaptées des corps policiers face aux violences faites aux femmes autochtones, comme démontre la gestion des cas de disparitions.

Amnistie internationale reproche à la GRC une omission de plusieurs données lors de la remise de ses rapports.

Amnistie internationale travaille conjointement avec plusieurs collectivités autochtones et groupes de femmes et  publie un dernier rapport en 2015 pour encourager fortement le gouvernement d’amorcer de sérieuses mesures dans l’immédiat vers une démarche globale de luttes contre les injustices dont ces femmes sont victimes. L’ONG est donc directement impliquée dans la décision du gouvernement Trudeau de lancer l’enquête.

Négligence policière

Le manque de confiance des autochtones envers la police est installé depuis la fondation du Canada.  Amnistie internationale reproche à la GRC une omission de plusieurs données lors de la remise de ses rapports. Le rapport de 2015, par exemple, ne prenait en compte que les affaires relevant de la compétence de la GRC alors que celui de 2014 comprenait les données de plus de 300 corps de police. Celui de 2015 donc, ne comprenait aucune donnée venant du Québec et de l’Ontario. Rappelons que la même année de cette publication incomplète, huit agents de la Sûreté du Québec sont suspendus suite à 14 allégations pour abus de pouvoir, agression sexuelle et/ou autres formes de violence envers les femmes autochtones.

Le racisme envers les autochtones et plus particulièrement les femmes et les filles autochtones est bien implanté dans notre système.

Réflexion pour 2021

Il n’y a pas de zones grises. Le racisme envers les autochtones et plus particulièrement les femmes et les filles autochtones est bien implanté dans notre système. Le racisme systémique. Un mot qui effraie bien notre premier ministre Legault. Un mot qui est pourtant bien implanté dans notre société. La reconnaissance des autorités québécoises (Trudeau l’a reconnu à l’été 2020) serait un premier pas vers une réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones. D’autres solutions plus concrètes sont également proposées dans le rapport comme : 

  • La nomination d’un ombudsman autochtone qui s’assurerait du respect des droits des autochtones ;
  • Un plan d’action national intergouvernemental pour la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles autochtones ;
  • La mise sur pird d’un fonds de guérison pour les survivantes et les familles atteintes ;
  • Un meilleur soutien aux organismes de première intervention dans les communautés ; 
  • La réforme des lois discriminatoires ;
  • etc.

Ce ne sont que quelques-unes des 231 recommandations faites par l’ENFFADA à l’égard du gouvernement canadien et de chaque gouvernement provincial. Il reste encore bien du chemin à parcourir vers un Canada équitable et juste pour chacun de ses résidents.

Conclusion

Azraya Ackabee-Kokopenac, décédée à l’âge de 14 ans.
Source : Radio-Canada

Il reste encore bien du chemin à parcourir vers un Canada équitable et juste pour chacun de ses résidents.

Les femmes et les filles autochtones méritent la sécurité et la vie, droits figurants dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Rappelons-nous Joyce Echaquan, 37 ans. Rappelons-nous de Mary Jane Hill, 31 ans. De Patricia Carpenter, 14 ans. Verna Simard, 50 ans. Azraya Ackabee-Kokopenace, 14 ans. Maisy Marie Odjick, 16 ans. Rappelons nous les 4 000 autres femmes, filles, mères, amies, élèves à qui la vie a été enlevée injustement. Faisons en sorte qu’elles ne soient pas décédées ou disparues en vain. Apprenons nos leçons. 

Sources

« Un an après le dépôt du rapport de l’ENFFADA, où est le plan d’action?», Radio-Canada

« Background», Reconciliation Canada

«Des noms, des visages, des vies», Radio-Canada

«Femmes et filles autochtones disparues et assassinées au Canada, l’Encyclopédie canadienne

«  »Génocide colonial » des Autochtones : évitons que la mémoire ne nous fasse défaut», Radio-Canada

«Le Canada accusé de  »génocide » envers les femmes autochtones», Le Devoir

«Les femmes autochtones ont été victimes d’un  »génocide tout court », avance la commissaire Audette», Radio-Canada

«Pour comprendre la Loi sur les Indiens», Radio-Canada

Image de couverture : Jordan Marie Brings Three White Horses Daniel, Runner’s World

Marie-Jeanne Lépine Mont Notre-Dame