Société

Sur les traces de l’attentat antiféministe de Polytechnique

Marie-Jeanne Lépine, Mont Notre-Dame 6 décembre 2020

AVERTISSEMENT: Le contenu de cet article pourrait choquer certains lecteurs.

6 décembre 1989, 17h10. À l’école Polytechnique de Montréal, un homme de 25 ans nommé Marc Lépine entre dans une classe du deuxième étage. Il demande aux filles de se rassembler dans le coin gauche du local. Les garçons, placés dans le coin droit, reçoivent l’ordre de sortir par la porte près d’eux. Ce sont les débuts d’un événement qui marquera le Canada à jamais.

« Je lutte contre le féminisme »

Nathalie Provost, survivante, 1989

Ce sont les mots qu’a prononcés Marc Lépine avant de faire ses premières victimes. Muni d’une carabine, il regarde les étudiantes. L’une d’elles, Nathalie Provost riposte: « Mais on n’est pas des féministes. On n’a jamais lutté contre des hommes!» L’homme ouvre le feu suite à ses mots, enlevant la vie de six victimes. Trois autres sont blessées. Lépine quitte la classe vers les corridors et continue son carnage. Un homme et deux femmes sont blessés, une est tuée depuis le secrétariat. Atterri dans la cafétéria, trois autres étudiantes succombent suite aux tirs.

« Mais on n’est pas des féministes. On n’a jamais lutté contre des hommes !»

Marc Lépine retourne sur ses pas et arrive dans une classe où il interrompt des exposés. Il tire sur une fille qui a le malheur de se trouver sur l’estrade, avant d’en abattre deux essayant de s’enfuir et une autre cachée sous un bureau. Entendant des appels à l’aide vers l’avant de classe, il y retourne et poignarde trois fois Maryse Leclair, la fille de l’estrade avant de déposer ses armes et ses munitions sur un bureau et de s’enlever la vie. Selon le coroner, il est 17h28 ou 17h29.

Les premiers policiers entrent dans l’immeuble sans attendre l’escouade tactique dès qu’ils apprennent le décès du tueur. Il est 17h35. Dans l’heure d’après, c’est la folie autour de l’école. Les ambulanciers évacuent 14 victimes, toutes des femmes de 21 à 31 ans, et 14 blessées, hommes et femmes, dont Nathalie Provost. La population est choquée. Faute de moyens de communication rapides, ce sont des familles de partout au Québec qui attendent des nouvelles de leurs proches étudiants à Poly. Plusieurs personnes, notamment des étudiants témoins, sont restées avec des séquelles de cette tragédie.

Pierre Leclair, père d’une victime et policier présent le 6 décembre, La Presse canadienne

Marc Lépine avait dans sa poche une lettre de suicide dont voici un extrait : «Si je me suicide aujourd’hui, ce n’est pas pour des raisons économiques […], mais bien pour des raisons politiques. Car j’ai décidé d’envoyer Ad Patres les féministes qui m’ont toujours gâché la vie.» En annexe de cette lettre se trouvait le nom de 19 femmes, des féministes « radicales» qui « ont toutes failli disparaître aujourd’hui. » 

L’onde de choc

La tragédie du 6 décembre a laissé une trace à plusieurs niveaux de la société et sur plusieurs aspects.

La tragédie du 6 décembre a laissé une trace à plusieurs niveaux de la société et sur plusieurs aspects 

Majoritairement sur le plan de la place des femmes dans la société, c’est un profond malaise qui s’est installé chez la population québécoise, et même dans le reste du Canada. En effet, plusieurs pensent que cette tragédie révèle les traces d’un mouvement antiféministe bien présent et répandu dans notre société. Nommée en 1989 comme l’œuvre d’un homme psychologiquement troublé, la tuerie est déclarée aujourd’hui comme féminicide, c’est-à-dire que des femmes ont été tuées pour la seule et unique raison qu’elles étaient femmes. En 1991, le Parlement du Canada fait du 6 décembre la journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes.

Le plan de l’accès aux armes a également été ébranlé. En effet, le fait que Marc Lépine se soit procuré sa carabine de manière légale a provoqué plusieurs remises en question. Plusieurs proches de victimes ou survivantes se sont impliqués dans la lutte pour le renforcement des réglementations face à l’acquisition d’armes. En 1995, grâce à la Coalition pour le contrôle des armes à feu fut passé le projet de loi C-68 sur le contrôle des armes à feu à Ottawa.

Je me souviens

Elles étaient intelligentes, elles étaient aimées, elles avaient des familles. Il est important de se rappeler leur nom et de continuer de se battre pour un monde plus juste et équitable.

Plaque commémorative, École Polytechnique de Montréal

31 ans après le drame, il est toujours important de se souvenir de Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucznik-Widajewicz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault et Annie Turcotte, ces quatorze femmes à qui un antiféministe a volé le futur. Elles étaient intelligentes, elles étaient aimées, elles avaient des familles. Il est important de se rappeler leur nom et de continuer de se battre pour un monde plus juste et équitable.

Pour en apprendre davantage, je vous suggère fortement le documentaire  «Polytechnique : ce qu’il reste du 6 décembre», réalisé par Judith Plamondon et sorti gratuitement en 2019 sur ICI TOUT.TV. C’est un excellent documentaire qui retrace les événements de la tragédie. Il est sensible, il est captivant, il bouleverse et il est nécessaire.

Ce soir, le 6 décembre 2020, 14 faisceaux lumineux seront allumés près du Mont-Royal pour commémorer les victimes.

Cet article est le premier d’une série de trois articles pour les 12 jours d’action contre les violences fondées sur le sexe.

Sources

«La lettre de Marc Lépine», le Journal de Montréal

«Tragédie de Polytechnique», l’Encyclopédie canadienne

«Polytechnique : déni de féminicide», Le Devoir

«Polytechnique : Le récit d’une tragédie», La Presse

«Polytechnique : Ce qu’il reste du 6 décembre», ICI TOUT.TV

Crédits photo de couverture : Radio-Canada

Marie-Jeanne Lépine Mont Notre-Dame