Culture Projet personnel

Le Procès: Mystérieux K.****

Elhana Beaulieu, Finissante du Mont Notre-Dame 22 novembre 2017

    Dans le cadre de mon projet personnel, je publierai cette année plusieurs critiques de films et de livres touchant des sujets intéressants, sur le modèle d’une œuvre de chaque type par thème. Voici donc la deuxième critique de cette série, avec cette fois-ci le thème de la justice.

    Roman le plus célèbre de Kafka et classique incontestable, Le Procès est une oeuvre à part,  l’objet de mille et une interprétations qui portera toujours sa part de mystère.

      Franz Kafka est né en 1883, à Prague. Cela fait de sa nationalité un débat, puisqu’il est né autrichien, puis est devenu tchèque. On le considère aujourd’hui comme un des plus importants auteurs du XXe siècle, en raison de ses oeuvres toutes différentes, étranges, à l’ambiance sinistre. Tous ceux qui ont essayé de les classer dans un seul courant littéraire ont échoué. Précurseur de nombreux auteurs d’importance, dont Camus et Sartre, il continue d’inspirer la littérature contemporaine. L’écrivain a même un adjectif dérivé de son nom, «kafkaïen», qu’on utilise pour décrire quelque chose d’illogique, d’absurde, comme on retrouve dans ses romans et nouvelles (La Métamorphose, Le Château). Et comme on retrouve dans Le Procès, apogée de son oeuvre, qui n’avait pourtant même pas vocation à être publié.

         Mais quel est ce fameux procès ? C’est celui de Josef K., un héros ordinaire, pas particulièrement intelligent ou sympathique. Un matin comme les autres, cet homme respectable, administrateur de banque, dont on ne connaîtra ni l’âge ni l’apparence physique, est arrêté sans qu’on l’enferme (il peut vaquer à sa vie quotidienne) et sans qu’on ne veuille lui dire pourquoi. Une entité mystérieuse, toute-puissante, abstraite et d’apparence invincible lui intente un procès. Il y prêtera de prime abord peu d’attention, puis consultera un avocat, visitera le tribunal, tentera de comprendre alors qu’il semble être le seul dans l’incompréhension. Quel est cet étrange système aux infinies ramifications et pourquoi s’en prend-t-il à lui ?

        D’abord, la qualité première de ce roman, et ce qui lui vaut probablement autant d’intérêt de la part de la communauté culturelle mondiale, c’est son originalité. En effet, comme tout le reste de l’oeuvre de Kafka, Le Procès se démarque par ses élans de bizarrerie, une des raisons pour lesquelles il est considéré comme un chef-d’oeuvre. Les éléments absurdes parsemés dans ce cadre réaliste ajoutent à l’atmosphère particulière, puisqu’ils semblent aller de soi, comme dans un cauchemar.

Le Procès se démarque par ses élans de bizarrerie, une des raisons pour lesquelles il est considéré comme un chef-d’oeuvre.

        Ensuite, le livre porte à réflexion. L’issue aurait-elle été différente si Josef K. s’était dit coupable de cette faute qu’il ignore ? Des dizaines d’interprétations sont possibles, mais ce qui est sûr, c’est que la justice est ici utilisée comme un prétexte, une métaphore de quelque chose d’autre, même si ce quelque chose, l’intention réelle de l’auteur, nous échappe encore. On parle aujourd’hui du Procès comme d’une critique d’un système devenu impersonnel, d’une bureaucratie toute-puissante et complice de la religion. d’un reflet de l’absurde condition humaine, de l’irrévocable, de la fatalité, du destin. Puisque nous sommes déjà tous condamnés à mort dès la naissance, non ? Certains y voient également des idées proches du marxisme ou de l’anarchisme, ou bien une image de l’identité juive, dans une période où l’antisémitisme commençait à s’intensifier en Allemagne et aux alentours. Les accents d’humour noir qui ponctuent cette vision sombre, désespérée de la vie constituent un autre atout de ce morceau de littérature, complexe mais fascinant.

       Par contre, un bémol subsiste. Effectivement, étant donné que le roman a été publié à titre posthume (comme plus de la moitié de l’œuvre de l’auteur), plusieurs zones d’ombres demeurent, notamment quant aux chapitres incomplets et répartis par Max Brod, un ami de Kafka, et donc pas par l’auteur lui-même. Brod était l’exécuteur testamentaire de l’écrivain, et il refusa d’exaucer la dernière volonté de ce dernier, soit de détruire tous ses manuscrits. Au lieu de cela, il se donna comme mission de faire reconnaître le génie de son ami, en publiant tous ses textes. Le Procès parut donc en 1925, un an après la mort de Kafka, dans une version corrigée par Brod. Celui-ci avait écarté certains des chapitres inachevés de l’édition originale; ils sont maintenant disponibles au public. Certaines incohérences, que Brod avait prises pour de banales erreurs, sont maintenant l’objet d’un débat par les spécialistes et les passionnés, certains prétendant que ces supposées erreurs étaient voulues et ont une signification quelconque. Aussi intéressante est cette aura de mystère, les contradictions et les volumineuses notes de bas de page qui les accompagnent nuisent à la fluidité de la lecture ainsi qu’à la cohérence de l’histoire, donc à la compréhension.

     En conclusion, Le Procès semble aujourd’hui appartenir à une littérature assez différente de celle à laquelle nous sommes habitués, mais peut-être n’a-t-elle jamais correspondu à aucun courant de littérature. Son histoire arrive à générer un certain suspense quant au sort du protagoniste, jusqu’à une fin brusque qui prend de court. Malheureusement, les personnages ne sont pas assez attachants pour qu’on se soucie vraiment de leur sort, ce qui rend le roman un peu fade, même si, pour sa défense, l’intention de Kafka, ce génie désordonné, résidait ailleurs. Finalement, Le Procès est un livre incontournable, incompréhensible à certains abords mais que l’étrangeté rend fascinant, et dont la lecture (tout de même ardue, avouons-le) vaut l’effort au bout du compte.

 

 

Sources des photos:

Photo principale de l’article: Movie Mezzanine

Photo à la fin de l’article: Deleuze Cinema Project 1 

* Les photos sont toutes deux tirées de l’adaptation cinématographique du roman par Orson Welles en 1962

Elhana Beaulieu Finissante du Mont Notre-Dame