Culture Projet personnel

Philadelphia: Le silence des répudiés ***1/2

Elhana Beaulieu, Finissante du Mont Notre-Dame 16 novembre 2017

Dans le cadre de mon projet personnel, je publierai cette année plusieurs critiques de films et de livres touchant des sujets intéressants, sur le modèle d’une œuvre de chaque type par thème. Voici donc la première critique de cette série, avec cette fois-ci le thème de la justice.

Considéré par plusieurs comme le chef-d’œuvre de Jonathan Demme, deux ans après Silence of the lambs, Philadelphia est un film très américain dans sa forme, mais moins dans son fond, par l’exploitation courageuse de tabous (sida, homosexualité, homophobie) à cette époque où il était préférable de garder le silence.

    Mais pour en comprendre l’impact, il faut revenir en 1993, année où le film est sorti en salles. Cela ne fait que quatre ans que Reagan, et son gouvernement à réputation homophobe, n’est plus en poste. Ces derniers ont négligé la question du sida, qui devient peu à peu une épidémie majeure. La croyance populaire, qui veut que ce soit uniquement des homosexuels qui contractent cette maladie, est encore très répandue. L’homosexualité est toujours passible d’une peine dans presque la moitié des états américains, (et le restera d’ailleurs jusqu’en 2003 dans certains états). Aux États-Unis, en France, ainsi qu’à plusieurs autres endroits dans le monde, des mouvements comme Act-up Paris, dépeint plus récemment  dans 120 battements par minute (voir critique), essayent tant bien que mal de faire entendre leur voix sur le sujet, prévenir la population et mobiliser les autorités.

    Et c’est là que Philadelphia débarque. Un film américain, avec des acteurs à l’importance grandissante (Tom Hanks, Denzel Washington) ainsi qu’un réalisateur  respecté dans le milieu (Jonathan Demme). Un film pionnier, comparé à Guess Who’s Coming to Dinner (1967), qui abordait pour une des premières fois le racisme au cinéma  (Roger Ebert, Chicago Sun-Times). Un film qui aura, à la surprise de tous, de très bons résultats au box-office, jusqu’à grimper au douzième échelon dans le classement des meilleurs revenus dans les salles américaines cette année-là. Un film qui raconte une histoire simple, mais révolutionnaire par son avant-garde.

    Cette histoire est celle d’Andrew «Andy» Beckett, avocat prospère et homosexuel discret, qui est soudainement renvoyé de la firme où il travaille. Beckett est atteint du sida et croit dur comme fer que c’est la raison de son renvoi. Il intente alors un procès contre la prestigieuse entreprise qui l’employait et acquiert une aide surprenante de la part d’un autre avocat peu ouvert d’esprit, qui reverra peu à peu ses valeurs en apprenant à mieux connaître son client. Le long-métrage s’inspire de la vie de deux avocats ayant vécu des situations similaires, Geoffrey Bowers et Clarence B. Cain.

    Le scénario de Ron Nyswaner, nominé aux Oscars, ose aborder directement les problèmes de la société américaine puritaine, sans chemins détournés, sans avoir peur des mots. Bien sûr, le film semble moins provocateur aujourd’hui, voire même un peu frileux sur certains aspects, mais il est important de le situer dans son contexte. Il est également intéressant de souligner le paradoxe établi par Nyswaner entre Philadelphie, fondée dans un esprit de liberté et de tolérance, où prend place une histoire justement basée sur un exemple d’exclusion. De plus, on ne peut que féliciter cette noble intention de l’auteur de défaire les préjugés et mettre en lumière les enjeux qui faisaient les manchette de ce temps-là. Qui-plus-est, des enjeux tabous, en plein milieu de la crise, ce qui était peu fait à l’époque. Malgré tout, on reste quand même un peu sur notre faim; à tant s’attacher à des personnages, on aurait aimé que leurs vies à l’extérieur du procès soit plus explorée. Tom Hanks a d’ailleurs dit plus tard que les scènes plus intimes entre lui et celui qui joue son partenaire, Antonio Banderas, avaient été coupées au montage.

    La réalisation et la direction photo, à la hauteur mais parfois un peu trop classiques, comptent tout de même quelques points positifs. La scène d’ouverture, qui montre des images de la ville de Philadelphie, ainsi que certains choix judicieux, comme l’utilisation de plans cassés pour représenter le malaise du personnage de Hanks lors de son interrogatoire, en sont des exemples.

    Mais ce sont les acteurs qui portent le film et lui donnent sa force. Le jeu minimaliste mais incroyablement juste de Tom Hanks et Denzel Washington insuffle à Philadelphia l’émotion qui le rend marquant, notamment dans une scène impliquant un morceau d’opéra (ceux qui l’ont vu comprendront). Leurs personnages, même celui de Washington dans tous ses préjugés, sont attachants et la chimie des deux acteurs principaux en font un des duos les plus intéressants du cinéma contemporain.

    La musique d’Howard Shore, qui a également travaillé sur la trilogie Lord of the Rings, est belle, même si elle ne déborde pas d’originalité. La chanson thème, Streets of Philadelphia a par ailleurs remporté l’Oscar de la meilleure chanson originale puis le Grammy Award de la chanson de l’année. Elle est écrite, composée et interprétée par Bruce Springsteen.

     En conclusion, Philadelphia est un film audacieux dans son propos mais tout de même légèrement désuet. Mais malgré ses défauts, c’est la justesse du ton, étonnante puisque l’auteur n’a pu prendre de recul des évènements qu’il décrit, et cette intention de briser le genre d’Omertà qui entourait le sida et l’homosexualité à cette époque qui font la grandeur du film. Finalement, Philadelphia n’a pas tant marqué les esprits pour sa qualité cinématographique, bonne sans être extraordinaire ou innovante, mais pour le contexte dans lequel il voit le jour, sa noble intention et son impact global.

Sources:

Photo principale de l’article: Cinemaofchange.com

Photo à la fin de l’article: HuffPost

 

Elhana Beaulieu Finissante du Mont Notre-Dame