Société

Les jeunes du Québec demandent une modernisation des codes vestimentaires

Marie-Jeanne Lépine, Mont Notre-Dame 28 octobre 2020

Depuis le début du mois d’octobre, des jeunes du secondaire participent au mouvement pour le changement des codes vestimentaires dans les écoles. Des garçons portent la jupe, les filles des cravates et plusieurs inscrivent des phrases sur leurs genoux. Dans tout le brouhaha des réseaux sociaux, voici ce que tu dois retenir sur

Groupe 401, Collège Mont Notre-Dame

ce mouvement. (Prendre note que durant l’écriture de ce texte, j’ai fait une généralisation pour le Québec. À l’exception des cas nommés à la fin, aucune école en particulier n’est ciblée.)

Les buts

Dans la pétition lancée sur le site change.org par Ève Bédard-Lacharité, cinq buts principaux sont inscrits : l’abolition de la règle du 10 cm en haut du genou, le droit de porter des vêtements moulants, le droit de porter des pantalons avec des trous, le droit de porter des chandails qui montrent les épaules ou le ventre et le droit de porter un chapeau/une tuque. Le mouvement est décrit comme «contre l’hypersexualisation des femmes et la masculinité toxique». Or, il en serait bien plus, en demandant aussi l’abolition des restrictions en lien avec le genre. Par exemple, en ayant un code vestimentaire pour les filles et un pour les garçons, les personnes qui sont genderfluid ou autre, se trouvent obligés de se classer encore une fois dans une catégorie afin d’être «légaux» dans ce qu’elles portent.

Je crois qu’il est également important de souligner que nous ne visons pas nécessairement une abolition du code vestimentaire, mais bien un assouplissement ainsi qu’une modernisation de certaines lignes qu’il comporte

N’étant pas personnellement impliquée dans cette dernière problématique, je ne peux vraiment m’avancer sur le sujet, mais selon moi, la distinction entre les deux genres,  imposée dans la majorité des codes, est discriminatoire. Les vêtements n’ont pas de genre et on ne devrait jamais se prononcer sur l’identité de genre de quelqu’un à sa place.

Je crois qu’il est également important de souligner que nous ne visons pas nécessairement une abolition du code vestimentaire, mais bien un assouplissement ainsi qu’une modernisation de certaines lignes qu’il comporte. Ainsi, il est correct que la jupe doit, par exemple, être au moins longue de 20 centimètres afin qu’on ne voie pas les fesses, mais ceci devrait être la raison, et non pas que «les garçons seront distraits.»

L’hypersexualisation de la femme

Ma jupe, je la porte pour moi.

«Si ta jupe est trop courte, les garçons seront distraits», «on voit des épaules, va te mettre un cardigan,» «tu montres trop de peau», «va te changer», «pute», «elle cherche l’attention». Ce sont tous des commentaires que la majorité des filles ont déjà entendus. Il faut mettre une chose au clair  : nous ne demandons pas de pouvoir porter notre jupe au ras les fesses. On demande de porter nos jupes à une longueur qui nous convient, peu importe la distance entre le genou et sa fin. Or, on se fait dire qu’on distrait, que les enseignants sont mal à l’aise, qu’on montre trop de peau, que «les gens à l’extérieur de l’école, eux, ils ne savent pas qu’on a des cuissards en dessous», mais pourquoi c’est moi le problème? Sache que je ne porte pas ma jupe à cette hauteur pour choquer, ni parce que je veux te séduire ou déranger ton cours, mais bien parce que je me sens confortable, belle et confiante. Ma jupe, je la porte pour moi.

Comment enseigner aux jeunes filles à se sentir bien dans leur peau, à ne pas trop avoir peur quand elles sont seules et à lever la voix sur les issues inégalitaires de notre société quand, pour aller à l’école, elles doivent porter une jupe qui ne doit pas montrer trop de cuisses sinon ce sera déplacé et elle sera blâmée pour distraction et renvoyée chez elle se changer?

La masculinité toxique

La masculinité toxique c’est des normes pour les hommes : avoir des muscles, aider les femmes qui ont besoin d’aide, aimer les «trucs de gars», ne pas montrer d’émotions. De nos jours, souvent, soit un gars respecte ces normes, soit il sera traité de «gay». La masculinité toxique ce n’est pas «je ne suis pas à l’aise de porter une jupe, je n’aime pas ça alors je ne la mettrai pas.» La masculinité toxique c’est «arkkkk non je ne mettrai pas de jupes, je ne suis pas gay.»

En permettant le port de la jupe et en enlevant les barrières de genre dans les codes vestimentaires, on fait un petit pas vers l’abolition de ces normes malsaines.

L’ampleur du mouvement et la place des garçons

Avec les réseaux sociaux, le mouvement s’est vite répandu et s’est même rendu aux oreilles de Québec Solidaire et de personnalités publiques telles que Jay Du Temple qui a fait une vidéo sur le sujet. Le problème avec la croissance peut-être trop rapide du mouvement, c’est que le but réel s’est perdu dans la foulée. Souvent, en regardant les stories, on voit la photo, on lit sa description, mais on se rend rarement plus loin. Or, c’est ce qui est le plus important. Pour divulguer un message fort, on a besoin d’arguments béton, on a besoin de savoir de quoi on parle, chose qui s’est un peu effacée dans la folie des jupes.

Il est donc important, surtout dans des causes comme celle-là, où les jeunes sont au coeur du mouvement, de savoir de quoi on parle, pourquoi on fait ça et les changements qu’on veut observer. Car comment changer les choses si toi-même ne sais pas ce qu’il faut changer réellement?

Je crois qu’on devrait se demander pourquoi il a fallu des voix masculines pour que le message soit entendu haut et fort

Selon moi, et la partie qui suit n’engage que moi, le mouvement a des points positifs, mais aussi négatifs. Je trouve en premier lieu très dommage que ça ait pris des voix masculines pour que les choses prennent une telle ampleur. Je trouve ça dommage, puisque ça fait des années que les filles réclament de porter leur jupe plus courte, des camisoles, des pantalons (on a fait une belle avancée sur ce côté-là d’ailleurs, bravo) et autres. Ça fait plusieurs années que des personnes qui ne se conforment pas aux genres masculins et féminins veulent une abolition des divisions des codes vestimentaires, or ces voix n’ont jamais pris autant d’ampleur que ce qu’on observe maintenant. Je n’enlève absolument rien aux garçons qui ont commencé à mettre leur jupe et à dénoncer, je trouve cela brave et j’en suis très heureuse. Je crois seulement qu’on devrait se remettre en question qu’il ait fallu des hommes pour que le message soit entendu haut et fort et répandu dans toute la province et autre région du monde. J’ai beaucoup aimé la vision de Xavier Dolan sur le sujet (voir «Histoire de jupes», dans La Presse).

Cassandre Bau-Plourde

Les choses changeront-elles réellement?

On constate encore tristement que, malgré le taux de participations assez élevé à la cause, les filles sont encore hypersexualisées dans plusieurs établissements. J’ai lu dans un témoignage de La Presse qu’une fille était allée dans son cours d’éducation physique et que son chandail était trop petit alors on voyait son ventre. L’enseignant lui aurait demandé d’aller se changer parce qu’on voyait «de la peau». Pour contester, plusieurs garçons ont noué leur chandail pour montrer leur ventre eux aussi, mais l’enseignant n’a pas réagi sur leur peau à eux. Ensuite, une fille aurait été avertie par un surveillant, car sa jupe était trop courte. Or, son ami, qui portait la jupe ce jour-là à la même longueur qu’elle, n’a jamais reçu de réprimande par des surveillants. Je crois que c’est un bon exemple d’hypersexualisation, c’est ça qu’on veut dire. On veut que notre corps nous appartienne au même titre que celui des garçons.

 

*Crédit photo de couverture : Cassandre Bau-Plourde

Marie-Jeanne Lépine Mont Notre-Dame