Société

La culture du viol

Collaboration spéciale, Mont Notre-Dame 9 mai 2019

Collaboration spéciale de Ève-Line Baillargeon, élève de 5e secondaire

La culture du viol semble un grand mot pour plusieurs personnes. En fait, nombreux sont ceux qui croient que ça n’existe pas, que c’est une invention ou que ça a disparu. En réalité, la culture du viol est partout. C’est dans tous les esprits, ça circule dans tous les médias, dans les films, les séries, dans les phrases les plus banales. Il existe des formes plus évidentes et d’autres plus profondément enfouies dans nos mentalités.

J’ai moi-même été victime d’une agression sexuelle. Malheureusement, même certaines personnes à qui je l’ai dit ne le savent pas. Eh oui, plusieurs de mes amies n’ont pas du tout compris la situation dans laquelle j’étais. La première personne à qui j’en ai parlé a répété à d’autres amies qu’un garçon plus vieux m’a embrassée et que je n’ai pas aimé ça. J’ai d’abord pensé : « Peut-être que c’est moi qui ai exagéré la situation. Quelqu’un d’autre à ma place aurait avoué que c’était juste un baiser désagréable. » J’ai cru : « Tu l’as voulu, tu l’as cherché. »

Effectivement, je me sentais coupable, car c’était ma faute de m’être retrouvée dans cette situation. Ce n’est pas comme si je l’avais repoussé quand il m’a invitée à le suivre dans le sous-sol. Je ne l’ai pas repoussé quand j’ai senti qu’il était dragueur, qu’il s’approchait peu à peu. La vérité est que, pendant un instant, je me suis vraiment demandé si je voulais l’embrasser. Mais le problème est que même après avoir réalisé que ce n’était pas ce que je voulais et après lui avoir exprimé très clairement ce sentiment, il a insisté, persévéré. Après tout, tout bon film nous a appris que quand la fille résiste, c’est uniquement pour se rendre plus désirable et que le garçon doit persévérer jusqu’à ce qu’il obtienne un « oui ».

C’est ce qui s’est passé pour moi. Après ce qui m’a semblé des heures de moi qui tournais la tête pour ne pas l’embrasser, qui tentais de changer de sujet, de m’éloigner, j’ai accepté de lui donner un bisou sur la joue en échange de ma liberté. Évidemment, quand je me suis approchée de lui, il s’est arrangé pour que nos lèvres se rencontrent et je suis partie.

La première chose que j’ai faite après l’événement, c’est m’isoler. Ensuite, je me suis demandé ce qui m’était arrivé exactement, je cherchais un mot, le mot exact pour décrire ce que j’avais vécu, ce que je ressentais. À la suite de cet événement, je me suis tournée vers mes amies pour savoir comment elles interprétaient la situation, comment je devrais réagir, ce que je devais faire. Une très bonne amie a appelé Tel-jeunes pour moi pour trouver les réponses à mes questions. Elle m’a donné la force d’en parler à ma famille et de dénoncer mon agresseur. Elle n’est pas la seule à avoir fait et dit exactement ce qu’il fallait pour m’aider. Mon père a été très à l’écoute et encourageant. Il m’a aidée à me déculpabiliser et il a favorisé mon autonomie plutôt que m’enfermer pour me protéger. J’ai aussi un autre ami qui m’a énormément aidée. Je lui ai parlé plus tard, lorsque la situation était « réglée ». Il m’a aidée à réaliser que je me culpabilisais encore. Il me comprenait, il n’a pas minimisé ni amplifié mes émotions. Il m’a simplement soutenue et donné de bons conseils.

Je ne pense pas que mon agresseur savait réellement ce qu’il faisait. C’est le problème avec cette culture : le sujet des agressions sexuelles est tellement mal compris que parfois, même les « gentils » garçons commettent des actes inacceptables. Ils ne comprennent pas l’ampleur de leurs actions. En effet, la majorité des victimes connaissent l’auteur présumé, soit 84,2 % des jeunes victimes et 78,8 % des victimes adultes. Les victimes font confiance à leur agresseur, ce sont des membres de leur famille, des voisins, des amis.

Aussi, les agresseurs ne sont pas toujours des hommes, même si les statistiques penchent largement en leur défaveur et qu’il y a aussi des victimes hommes, transgenres, non binaires, non conformistes, etc. Selon les statistiques policières de 2014 du Québec, 84 % des victimes sont de sexe féminin, alors que 96 % des auteurs présumés sont de sexe masculin. De plus, le viol n’est pas le seul type d’agressions sexuelles. Il y a aussi les attouchements sexuels, l’exhibitionnisme, le frotteurisme, le voyeurisme, le harcèlement sexuel et bien plus encore.

Maintenant, il est temps de régler quelque chose une bonne fois pour toutes : RIEN NE JUSTIFIE LE VIOL. Pas une jupe trop courte, un décolleté trop plongeant, un verre de trop ou une ruelle trop sombre. Ce n’est en aucun cas la faute de la victime. Les agresseurs choisissent les personnes qui leur semblent vulnérables, peu importe leur genre, leur âge, leur apparence… Malheureusement, la société culpabilise encore beaucoup les victimes et c’est parfois même l’entourage qui amplifie la honte et la culpabilité ressenties par la victime : « En même temps tu as vu comment elle dansait, comment elle était habillée! » J’ai pensé la même chose : « J’ai vraiment attiré l’attention, je dansais tout le temps, souvent en maillot de bain. Il doit y avoir une raison pourquoi c’est arrivé à moi et pas à quelqu’un d’autre : j’ai été conne, naïve ».

La majorité des victimes ne vont pas voir la police et même dans ces cas-là, peu d’agresseurs finissent en prison. On estime que le taux de dénonciation des agressions sexuelles est de seulement 5 %. Le système judiciaire n’est vraiment pas adapté pour encourager les victimes à porter plainte. En effet, la phrase sacrée « Innocent jusqu’à preuve du contraire » rend ce type de cas plus difficile à aboutir, car ce sont les mots de l’agresseur contre l’agressé et qu’il y a rarement des témoins ou d’autres types de preuves.

Les statistiques sont affligeantes : 1 femme sur 3 a été victime d’au moins une agression sexuelle depuis l’âge de 16 ans. C’est un nombre astronomique de victimes. Devant cette statistique, on ne peut que constater que la culture du viol est un réel problème de société qu’il faut absolument rectifier. Par exemple, les médias devraient cesser de banaliser la chose. Tout le monde devrait être mieux éduqué pour qu’il y ait moins d’agresseurs et pour que le monde soutienne mieux les victimes. Les victimes devraient pouvoir obtenir justice si c’est ce qu’elles désirent et l’on ne devrait plus jamais entendre : « Elle l’a cherché ».

Ça fait maintenant un peu plus d’un an que mon agression s’est produite. Je n’y pense plus aussi souvent, je fais moins souvent d’insomnie, mais c’est une expérience dont je resterai à jamais marquée. Ça a changé ma façon d’agir, de réagir et de penser. Ce que je dois faire maintenant, c’est essayer d’en ressortir un peu de positif en me disant que j’ai appris. Ça m’a fait grandir, ça m’a rendue plus forte et plus sensible à la cause. Maintenant, j’écris cet article pour parler du sujet, maintenant je fais des actions pour faire changer les choses.

Si vous avez été victime d’une agression, osez en parler, osez défendre vos droits et votre dignité. Si un membre de votre entourage a subi un tel sort, soyez à l’écoute et présent pour lui.

Au Québec, dans 16 régions, incluant l’Estrie, nous avons la chance d’avoir l’organisme CALACS : le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. C’est un organisme féministe communautaire qui vient en aide aux femmes et aux adolescentes de 12 ans et plus ayant été victimes d’agression à caractère sexuel ainsi qu’à leurs proches. Le centre offre des services d’aide directe, de prévention et de sensibilisation. Il participe et entreprend aussi des luttes et des actions politiques. En tout temps, il est possible de joindre l’organisme sans frais à l’aide de la ligne provinciale au 1-888-933-9007. Voici aussi le lien vers le site internet de CALACS Estrie : http://www.calacsestrie.com/.

Sources :

Agression Estrie – CALACS, [en ligne], mis à jour en 2019, http://www.calacsestrie.com/, (consulté le 20 mars 2019). 
« Statistique 2014 sur les infractions sexuelles au Québec », Sécurité publique Québec, [en ligne], publié en 2015,
« L’agression sexuelle », Sans oui c’est non !, [en ligne], mis à jour en 2019, http://www.harcelementsexuel.ca/agression-sexuelle/, (consulté le 15 mars 2019).
 

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Collaboration spéciale Mont Notre-Dame